Trancher : quand les mots tuent

Quatrième de couv’ :

9782081439535

« Des pages et des pages de notes. Tu as noirci des centaines de lignes de ses mots à lui. Pour garder une trace, tenter de les désamorcer, avec le pathétique espoir qu’ils aillent s’incruster ailleurs qu’en toi. »
Cela faisait des années qu’elle croyait Aurélien guéri de sa violence,des années que ses paroles lancées comme des couteaux n’avaient plus déchiré leur quotidien. Mais un matin de septembre, devant leurs enfants ahuris, il a rechuté : il l’a de nouveau insultée. Malgré lui, plaide-t-il. Pourra-t-elle encore supporter tout ça ? Elle va avoir quarante ans le 3 janvier. Elle se promet d’avoir décidé pour son anniversaire.

Chronique :

Trancher, c’est le récit d’une narratrice anonyme victime de la violence verbale et psychologique de son mari, Aurélien. Dans les premières pages, c’est une petite vie idyllique qui semble se jouer pour cette famille. La narratrice a hérité d’une petite maison en normandie, qu’elle a retapé avec son mari, où ils passent des petits week-end loin de la capitale avec leurs deux enfants, Vadim et Romane. mère attentive, elle prépare le petit déjeuner de sa tribu, réunie autour d’elle, où chacun vaque à ses occupations autour de la table, dans la gaieté. Et soudain, ce paradis se brise : « Je suis chez moi, quand même, alors ferme ta gueule une bonne fois pour toutes, connasse, si tu veux pas que je la réduise en miettes. » Le cadre idyllique s’effondre, et sous les gravats, on devine une violence revenue.

Sept ans plus tôt, notre inconnue a craqué nerveusement. Dépression. Les mots d’Aurélien l’avaient mise à terre. Impossible de se lever, de s’occuper de son fils, de prendre soin d’elle. Elle décide de le quitter. Il pleure. Jure de s’arrêter, de se faire soigner, de comprendre l’origine de cette violence. Jure qu’il l’aime. Qu’il se dégoûte de faire vivre ça à la femme qui est tout pour lui.

Et c’est le temps de la reconquête. Mais la narratrice retombe-t-elle amoureuse d’un homme nouveau ou de l’homme de son souvenir, celui de la première rencontre, celui de l’époque du désir et de la découverte ? Retombe-t-elle amoureuse ou est-elle aiguillonnée par la peur ? La peur de devoir tout reconstruire, de repartir à zéro, de trouver, peut-être, au bout du chemin, une situation précaire ? Retombe-t-elle amoureuse ou se laisse-t-elle manipuler par Aurélien ? Un autre enfant vient sceller l’amour nouveau.

Sept ans après. La narratrice se retrouve face à ses mots, crus, brutaux, destructeurs, issus d’une pulsion malsaine et, semble-t-il, incontrôlable. Et le souvenir ressurgit instantanément. Elle n’avait rien oublié. Elle avait toujours attendu une rechute. Elle se rend compte qu’elle n’a pas tout à fait vécu paisiblement les dernières années. Elle était en permanence sur le qui-vive. Les sept dernières années n’ont jamais eu la quiétude des premiers temps, ceux d’avant la violence et le mépris.

Alors vient l’ultimatum. Elle sait qu’elle ne supportera pas une nouvelle dépression. Et elle doit penser à ses enfants. Quel exemple de mère leur donne-t-elle ? Celle d’une femme silencieuse et résignée ? ou veut-elle leur offrir l’image d’une femme forte et résolue ? Et quel impact la violence du père aura-t-il sur le développement de Vadim et Romane ? Ne risquent-ils pas de reproduire le même schéma ?

Alors elle se décide. Elle prévient Aurélien : le 3 janvier, elle choisira de rester ou de partir. De trancher la question une bonne fois pour toute. L’aube de sa quarantième année sera une nouvelle vie. En attendant, elle note noir sur blanc, sur la période de décembre, tous les mots et les évènements qui la pousseront vers son choix final.

Finale :

Portrait d’une femme dans la tourmente, Trancher est un très court roman qui a pour particularité d’avoir une narration à la deuxième personne du singulier. Et c’est là pour moi que le bât blesse. Le « tu » entraîne une neutralité narrative qui me dérange un peu : à qui s’adresse le récit ? La narratrice est-elle l’unique narrataire ? Ou le lecteur est-il censé se mouler dans ce « tu », se l’approprier et devenir ce « tu » sans identité ? Le « tu » est un point de fuite, il provoque une mise à distance certaine avec le sujet. Au vu du thème abordé, les violences conjugales, c’est un choix que je trouve assez ambigu. Mais c’est peut-être (sûrement ?) ce paradoxe que l’auteure visait.

Amélie Cordonnier, Trancher, Flammarion, « Littérature française », 29.08.2018, 176 p.

Félix Vallotton, La Visite, 1899, Kunsthaus, Zürich.

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