La lumière de la nuit : enquête en aveugle

Quatrième de couv’ :

couv52682382Alors qu’un prêteur sur gages est retrouvé assassiné dans un immeuble en construction d’Osaka, le policier Sasagaki établit rapidement que la dernière personne à avoir vu la victime avant sa mort est une femme vivant seule avec sa fille Yukiho. Celle-ci a une dizaine d’années, tout comme Ryōji, le fils du prêteur sur gages, et fréquente la même école. Pour le reste, l’enquête est dans l’impasse.
L’année suivante, un ami de cette femme meurt dans des circonstances étranges, puis c’est elle-même qui disparaît. La police conclut à l’accident dans un cas, au suicide dans l’autre.
Le temps passe. Yukiho devient lycéenne, puis étudiante ; elle se marie, divorce, se remarie. Rien ne semble pouvoir arrêter son ascension sociale. Ryōji, de son côté, vit en marge de la société, s’enrichit dans des combines douteuses et se débarrasse par tous les moyens possibles des obstacles qu’il rencontre sur sa route… Quand le policier Sasagaki – désormais en fin de carrière, et hanté par l’échec de l’enquête sur la mort du prêteur sur gages – rouvre le dossier, la mort frappe à nouveau.

Chronique :

La Lumière de la nuit est tout autant un roman noir qu’une fresque sociale retraçant l’évolution de la société japonaise des années 70 à 90. Cette incroyable enquête débute dans les années 70 : un usurier est retrouvé mort par des enfants jouant dans un immeuble désaffecté. Toutes les portes sont closes, et un adulte ne pouvait pas se glisser par l’interstice par lequel les enfants sont passés. Et une valise contenant une grosse somme d’argent a disparu. Crime crapuleux ? Le bonhomme n’était pas particulièrement sympathique, sa femme le regrette avec parcimonie, son enfant Ryōji, reste enfermé dans sa chambre. L’inspecteur Sasagaki le trouve mutique, étrangement silencieux, presque jusqu’au malaise. C’est un enfant bizarre, du propre aveu de sa mère.

L’enquête le mène chez une femme, probablement sa maîtresse, qui vit seule avec sa fille Yukiho. La petite fille se montre polie, un peu sur la réserve, et d’une intelligence peu commune, comme le soupçonne l’inspecteur qui lui trouve des lectures bien adulte pour une si jeune fille. Il recroisera sa route un an plus tard, apprenant la mort de la mère, asphyxiée au gaz. C’était une mère célibataire pauvre, qui accumulait les petits boulots, au bord de l’épuisement. La fillette ne peut rien dire, elle n’a rien vu, elle était à la bibliothèque au moment du drame. On conclut au suicide et on confie Yukiho à une tante éloignée, mais riche.

Les années passent. L’inspecteur Sasagaki semble porter un intérêt particulier pour Ryōji et Yukiho. Il faut dire qu’il entend souvent parler d’affaires un peu étranges, dans lesquelles gravite toujours Ryōji, de près ou de loin. Et les actes du désormais jeune homme semblent toujours liés à la réussite éclatante de Yukiho, dont les obstacles éventuels finissent toujours par disparaître en sa faveur. Mais quel est le lien qui semble unir ses deux personnes qui ne semblent même pas se connaître et ne se croisent jamais, gravitant dans des galaxies éloignées : lui, dans les milieux undergrounds, flirtant avec l’illégalité, et elle, évoluant dans une société bourgeoise à la réussite économique florissante ?

Vingt années d’enquête, vingt années de changements économiques et sociaux. Le lecteur assiste à l’essor de l’informatique, à la création des premiers jeux vidéos, et des premières contrefaçons, à l’avènement de la carte de crédit, et aux premiers piratages de ces dernières. Avec Yukiho, on suit l’émancipation de la femme japonaise, qui sort de sa cuisine et son rôle de femme au foyer. Yukiho veut travailler, elle se fait un pactole en jouant en bourse. Elle divorce, retrouve son indépendance, créé sa propre entreprise de mode, se remarie. En somme, une femme très moderne dans un pays en constante évolution, qui avance en marche forcée vers la modernité.

Finale :

La Lumière de la nuit est un excellent polar : son enquête est longue, tortueuse, labyrinthique, marquée par des suicides et des disparitions mystérieuses. La personnalité de ses personnages y est pour beaucoup : Ryōji, insaisissable et malaisant, d’une dangerosité doucereuse et rentrée, Yukiho, douce et trop parfaite, implacable chef d’entreprise, à la réussite rapide et semble-t-il facile, et enfin Sasagaki, vieux limier tenace, qui représente dans cette société nouvelle où tout va vite la tradition, et une certaine idée de la lenteur.

Car le rythme du roman est volontairement lent. Le temps s’écoule et s’égraine, tout n’est jamais dit. Higashino distille, tisse sa toile, dispose les éléments de main de maître et fait naître le doute chez son lecteur, le malaise s’insinue subtilement au fur et à mesure que l’on suit la vie de Ryōji et Yukiho. Peu à peu apparaît l’incroyable vérité et le fin mot de l’histoire.

Keigo Higashino, La Lumière de la nuit, Actes Sud, « Babel noir », 2017, 741 p.

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