L’indolente : vie de Bonnard

Quatrième de couv’ :

71QGIYsVQ-LQui est Marthe Bonnard ?
Toujours jeune, souvent nue, on la voit sur les toiles des plus beaux musées du monde, pourtant elle reste mystérieuse. Elle se dissimule dans la lumière du peintre Pierre Bonnard, avec qui elle partage sa vie entre 1893 et 1942. Durant cette période, le couple voyage beaucoup, au rythme de la santé fragile de Marthe, et noue des amitiés dans le monde de l’art – Monet, Vuillard, Signac, Matisse…
Derrière les couleurs, le « peintre du bonheur » cache ses fantômes et ceux de sa femme. Ensemble ils n’auront pas d’enfant, mais ils feront une œuvre.
À la mort de Pierre, veuf depuis cinq ans, leur histoire d’amour déclenchera une affaire judiciaire retentissante, émaillée de divers rebondissements. Car l’orpheline qui se disait être Marthe de Méligny avait une famille et un autre nom.

Chronique

L’Indolente ou le mystère Marthe Bonnard est une biographie qui se propose de retracer la vie énigmatique de Marthe, cette muse qui apparaît sur les toiles de Pierre dès 1893 et qui ne les quittera plus jusqu’à sa mort. Énigmatique Marthe car celle-ci a caché sa véritable identité pendant trente ans à son compagnon, jusqu’à leur mariage, et continuera de la taire auprès des autres. Celle-ci s’appelle en réalité Maria Boursin, elle n’est ni fille naturelle d’un noble italien désargenté, ni orpheline, et, par son silence obstiné, elle provoquera une longue querelle juridique entre les ayants-droit du couple Bonnard. Querelle qui fera jurisprudence et étendra le droit moral du peintre sur son œuvre.

Je vous le dis tout de suite : si vous pensez que cette biographie va éclaircir le passé de Marthe, va proposer une enquête sur la vie de cette femme mystérieuse, va apporter un éclairage nouveau sur la psychologie de cette femme fragile, oubliez, vous allez être déçu ! Françoise Cloarec a livré un travail de recherche minutieux dans les archives, sa biographie regroupe un nombre important d’articles, de lettres d’amis, de témoignages. Mais tout ne va porter que sur Pierre Bonnard et sa vie avec Marthe. Et je suis navrée de le dire, mais Pierre Bonnard a la vie la plus chiante que je n’ai jamais lue !

Alors, entendons-nous bien, « chiante » ne veut ici pas dire nulle et inintéressante, il a une vie comme tout un chacun. Mais ce n’est pas ce que j’attends quand je lis une biographie, romancée ou non, sur les peintres. Peut-être suis-je trop imprégnée de l’image de l’artiste maudit, au génie incompris, méprisé des critiques, qui connaît une vie faite de haut et de bas, qui croise amis et ennemis célèbres et partage son point de vue artistique, qui défende sa vision de l’art contre vents et marées. Pierre Bonnard est un chanceux : issu d’un milieu bourgeois qui ne comprend pas forcément qu’il arrête ses études de droit pour se consacrer à la peinture mais ne le rejette pas non plus, il ne manquera jamais de rien dans sa vie, sera reconnu de son vivant et admiré. Il fera de nombreux voyages dont il ne rapportera strictement rien (aucun impact sur sa peinture), préférant la lumière de la Normandie ou de la Côte d’Azur, représentant jusqu’à la fin sa vie quotidienne, quelques amis et surtout, Marthe. D’abord proche du groupe des Nabis, Pierre Bonnard conservera toujours son indépendance vis-à-vis des mouvements artistiques picturaux : ni impressionniste, ni post-impressionniste, ni cubiste ni surréaliste, Pierre Bonnard suivra toujours la voie qu’il s’est fixée, se méfiant peut-être des « modes » ou de l’esprit des groupes. Il faut dire que cet homme a aussi subi la maladie de Marthe, qui s’enferme peu à peu dans sa paranoïa, refusant de voir du monde et isolant son mari de ses amis lentement mais sûrement.

C’est d’ailleurs une des seules choses remarquables chez cet homme – exception faite de sa peinture, bien évidemment. Sa fidélité envers cette femme valétudinaire, que certains décrivent un peu comme une mégère, alors que d’autres y voient une créature fragile, instable mais agréable dans ses bons moments. Jamais Pierre n’abandonnera sa femme, quelles que soient les difficultés. Il aura bien sûr quelques maîtresses, mais les quittera dès que Marthe en prendra ombrage. Entre la passion fugace et le durable amour, Pierre a choisi. Marthe sera son modèle favori, peut-être parce qu’il sent inconsciemment le mystère qui entoure cette femme, une part qui lui reste inaccessible et qu’il cherche à découvrir en la fixant sur une toile. Une fois femme provocatrice et abandonnée au désir, une fois femme qui lit dans une salle à manger, d’autre fois femme rejetée dans l’ombre d’un tableau, cachée sur un balcon, ou à la pâleur et à la rigidité cadavérique dans une baignoire, Pierre communique ses états d’âme et de couple à travers ses toiles, révélant là toute l’influence de Marthe sur la peinture de son mari.

Finale

En refermant ce livre, Marthe restera une inconnue. Je ne comprends pas très bien le projet de faire une biographie autour d’une femme que nous ne pourrons jamais connaître, même en psychanalysant les toiles de Pierre Bonnard. Pourquoi ne pas proposer tout simplement une biographie sur le peintre, qui aborderait automatiquement l’intimité de ce couple étrange et de cette femme évanescente mais approfondirait les théories artistiques, ses évolutions picturales, les influences et les amitiés de Pierre Bonnard.

À la place, nous avons une biographie certes vraiment bien documentée, mais très redondante et qui reste un peu en surface de tout. De temps en temps, la voix de la narratrice surgit pour nous dire qu’elle a cherché ici mais n’a rien trouvé là, qu’elle s’est rendue sur tel lieu mais que c’était une impasse et que Marthe de Méligny, hasard ou travail minutieux, a posé une chape de plomb sur son passé. Pourquoi ? Pourquoi ce mensonge de toute une vie ? pourquoi cette haine de soi ? détestait-elle vraiment son milieu, haïssait-elle son père au point d’honnir son nom ? Le mystère est entier.

Françoise Cloarec, L’Indolente ou le mystère Marthe Bonnard, J’ai lu [stock], 2018 [2016], 382 p.

Pierre Bonnard, L’Indolente, 1899, Musée d’Orsay, Paris.

2 commentaires sur “L’indolente : vie de Bonnard

  1. J’ai vraiment apprécié, de Guy Goffette, le très poétique « Elle, par bonheur et toujours nue ». Du coup je n’ai pas très envie d’essayer ce titre… Peur de descendre de plusieurs marches d’un coup ! Bon am

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