Les Incurables : salut, foi et folie

Quatrième de couv’ :

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1953, quelque part au fin fond de l’Amérique. Le Dr Freeman, neurologue visionnaire mais violemment contesté, est chassé de l’hôpital psychiatrique où il exerce. Il enlève son dernier patient, voué à lui servir d’assistant, et part sur les routes défendre sa méthode thérapeutique révolutionnaire : la lobotomie transorbitale. Armé d’un pic à glace et d’un marteau, Freeman est persuadé qu’aucune dépression, aucune catatonie, aucune psychose ne lui résistera. Jusqu’à ce que, dans une petite ville de l’Oklahoma, sa propre santé mentale soit mise à rude épreuve par une galerie de personnages délirants. Un prêcheur qui prend son fils pour le Messie, une jeune prostituée démente et une fratrie de gros bras manieurs de machettes se chargeront de lui rappeler qu’une foi aveugle ne peut mener qu’au désastre.

Chronique :

Un pic à glace et un marteau : voilà le remède à la souffrance de l’humanité pour le bon docteur Freeman. Sa technique qui apportera la paix à l’humanité ? lobotomie transorbitale. Mais nous le savons tous, nul n’est prophète en son pays : et l’asile dans lequel il est employé se débarrasse de lui et de sa méthode révolutionnaire. Qu’à cela ne tienne, le Dr Freeman va poursuivre son sacerdoce : apporter le salut à l’humanité souffrante. Il part, en compagnie d’Edgar, un dément sanguinaire et dernier patient à avoir pu profiter de sa science, sur les routes des Etats-Unis prêcher la bonne parole.

Burnwood, Oklahoma, deux plus tard. Le Dr Freeman se rend compte, en observant la faune locale, qu’il a trouvé le lieu parfait pour convaincre le monde des bienfaits de sa thérapie. A peine arrivé, ne croise-t-il pas un jeune homme, Durango, portant un trône et une couronne d’épines, suivant son père convaincu qu’il est le nouveau Messie ? Et une jeune prostituée, Scent, affublée d’une vieille mère ivrogne, toujours vêtue de sa robe de mariée, attendant patiemment le retour de son mari en cavale depuis seize ans et gardant précieusement caché son magot. Scent, elle, est dévorée par l’idée de remettre la main sur cet argent et s’enfuir. Que penser des frères Holland, qui se promènent avec des machettes et dont l’aîné est toujours accompagné d’un livre de philosophie ? Le tout surveillé par un shériff bien évidemment corrompu et porté sur le cul.

Le lecteur plonge, en compagnie de ce nouveau Prométhée moderne, dans le vice et la folie, dans l’immoralité assumée de toutes les personnes en présence. Scent qui assassine parfois ses clients et qui est rongée par la cupidité, Durango, qui sait qu’il n’est pas le Christ mais entend parfois le diable chuchoter à son oreille, tous veulent profiter de la méthode de Freeman pour améliorer leur existence : le pic à glace pour « traiter » les personnes qui leur compliquent la vie. Et les conséquences vont mener à un final carnavalesque et grotesque, une hystérie collective où toutes les croyances vont être balayées.

Ce polar nous entraîne sans concessions, mais non sans humour, dans un monde dirigé par une humanité sans règles et sans repères. L’auteur s’attaque aux croyances, religieuses ou scientifiques, à tous ceux qui proclament détenir la solution parfaite pour régler tous les problèmes et veulent à toute force l’imposer. Mais qui est le plus fou ? Le lecteur sera bien en peine pour le déterminer. Durango qui finit par se prendre pour le Christ et veut apporter le Salut à ses semblables ? Freeman, docteur Frankenstein accompagné de son Igor, persuadé que tout le monde est malade et convaincu que sa méthode soignera l’humanité entière, dissimulant soigneusement les ratés de ses opérations ?

Finale :

Les Incurables, c’est une histoire de fous, qui dénonce les porteurs de vérité absolue qui ne peuvent être que des prophètes du désastre et des oiseaux de malheur. La solution est souvent pire que le mal qu’elle traite, et les cadavres s’accumulent lentement mais sûrement pour le prouver.

Jon Bassof, Les Incurables, Gallmeister, « Americana », 2018, 234 p.

 

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