Daddy Love : prédicateur prédateur

Quatrième de couv’ :

9782757864951

Robbie Whitcomb, 5 ans, est enlevé sous les yeux de sa mère. Commencent sept années d’horreur pour le petit garçon, rebaptisé Gideon par son ravisseur, Daddy Love. Celui-ci n’est autre que Chet Cash, pasteur itinérant, populaire et séducteur, vendeur d’objets en macramé fabriqués par sa victime. Après l’arrestation, Robbie retrouve sa famille mais le retour à la normalité n’est qu’apparence.

 

Chronique :

Dinah Whitcomb est sur le parking d’un supermarché. Elle tient fermement la main de son petit garçon, Robbie, jusqu’à ce qu’ils soient parvenus à la voiture. Et soudain, c’est un choc. Un choc brutal sur le crâne qui assomme la mère tandis que l’enfant lui est arraché. Cette scène est répétée quatre fois, à chaque fois, des détails ténus changent, modifient la perception de la scène. Quatre fois qui montre la culpabilité de la mère qui s’en veut d’avoir lâché la main de son fils pour allumer une cigarette alors que la voiture était en vue. Elle était presque arrivée, presque en sécurité. C’est une mauvaise mère, ressasse-t-elle alors qu’elle s’est jetée sur la voiture du ravisseur, alors qu’elle s’est faite traîner sur quinze mètres, accrochée désespérément au S.U.V qui lui enlevait son fils. Dinah est une femme brisée, aussi bien physiquement que moralement.

Daddy Love, lui, n’est qu’amour. Il a arraché Robbie à une mauvaise mère, qui fumait devant lui. Daddy Love est un prédicateur qui écoute les voix du Seigneur qui lui envoie des signes, des visions. Son devoir moral de chrétien, c’était de sauver l’enfant d’une mauvaise mère et d’en faire son Fils. Et de l’éduquer pour lui apprendre l’amour.

Daddy Love a déjà essayé d’apporter l’amour à des jeunes garçons. Mais tous l’ont déçu. Surtout, tous ont dépassé l’âge fatidique des douze ans. A partir de cet âge, ils deviennent pubère, laid, beaucoup moins désirable, moins pur. Alors tous ont fini dans une tombe, derrière le jardin.

Daddy Love est un pédophile, pervers, sadique et manipulateur. On assiste impuissant, dans la désagréable position du voyeur, aux sévices mentaux subis par Robbie, renommé Gideon par son ravisseur. Une éducation fondée sur les « punitions » et l’imprévisibilité de leurs survenues. Mais il est toujours puni par « amour » : si Gideon est attaché par des cordes, Daddy Love lui aura auparavant entouré les poignets de gaze, pour que l’enfant ne se blesse pas, lui démontrant ainsi son amour et sa considération.

Parallèlement, le lecteur suit le parcours de Dinah et de Whit, de leur vie qui continue, mais sans Robbie, et de leur façon de faire face au drame. Dinah qui travaille bénévolement pour un centre d’appel d’urgence, qui noie sa culpabilité et son mal-être dans un flot de paroles pour détourner l’attention des autres. Dinah qui s’efforce de garder espoir à n’importe quel prix, jusqu’à se rendre à l’église sans vraiment croire en Dieu. Whit, plus pessimiste, qui s’éloigne de son foyer en se réfugiant dans le travail, boit un peu trop, s’échappe en fumant, s’évade dans les bras d’autres femmes.

Ce sont six années que Gideon passera au côté de son bourreau. L’enfant parvient un jour à s’enfuir. Mais l’impact de sa séquestration est profond : l’enfant est partagé entre « Fils », soumis, apeuré, étrangement confiant et dépendant de Daddy Love, et « Gideon », rebelle mais aussi plus violent, n’hésitant pas à incendier le garage de son institutrice, agissant par compulsion.

L’enfant que l’on ramène à sa famille soulagée n’est plus le même. Robbie a disparu. Tout comme la famille a changé. Que deviendront-ils après le drame ?

Finale :

Daddy Love est une plongée dans la noirceur de l’âme humaine. La psychologie des personnages est fouillée, ce qui le rend très crédible. Il est très dérangeant d’entrer dans l’intimité de ce Daddy Love, pédophile pervers au dehors séduisant -un Brad Pitt barbu- qui plaît aux femmes et s’attire la sympathie des autres pères de famille. Mais on ne tombe jamais dans le scabreux putassier – n’ayez crainte, il n’y a aucune description de scènes de viol. La fin ouverte laisse planer une ombre inquiétante : que deviendra Robbie dans l’avenir ?

Joyce Carol Oates, Daddy Love, Points, 2017, 279 p.

Francisco Goya, Saturne dévorant son enfant, 1819-1823, Madrid. Musée du Prado

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