Orance : Oran errance amoureuse

Quatrième de couv’ :

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« … gare aux mains qui se lient parmi les abris ombragés, caresses-épanchements, même subtiles, qui trahissent ; l’amour à Oran ? une histoire singulière, style de vie clandestin, fait d’une errance permanente, où rien ne doit être laissé à la masse informe qui tout guette, exigeant de tous ceux qui veulent être à deux, l’exécution d’une partition pathétique, incommode, effort constant, ne pas frôler sa main à lui, à elle, »

Chronique :

Orance est un court roman qui propose une photographie d’Oran, de ses habitants, de sa pauvreté, et surtout, de sa misère sexuelle et de l’odeur rance des corps qui lutte contre le désir.

Le narrateur, dont nous ne connaîtrons jamais le nom, est d’abord un adolescent. Son enfance dans les rues miteuses d’Oran, les petits jobs ingrats -ramasseur de sacs- pour compenser l’absence du père qui a quitté le foyer, sa mère, qui après avoir été une infirmière dans un hôpital public, est devenue faiseuse d’anges pour des femmes en délicatesse. C’est son premier rapport à la sexualité, le travail de sa mère. Et il est déjà empreint de honte et de clandestinité.

Une rare journée de repos à la mer. La puberté, l’œil adolescent qui guette les jeunes filles en maillot. Le sexe qui se dresse mais que l’on cache en s’enfonçant un peu plus dans la sable. Et ces adolescentes, étroitement surveillées par l’œil jaloux des pères, soucieux de maintenir l’honneur de leur fille, mécontents de maillots qui dévoilent trop. Dès qu’un garçon approche, on remballe les serviettes et on s’enfuit. Les corps des femmes doivent être cachés pour être convenables. Et dans ce lieu où le désir se fait étouffant mais se tait, la mère fait le choix étrange d’inciter son fils à lire L’Amant de lady Chatterley. Compréhension muette du désir de son fils ? Approbation donnée à sa découverte de la sexualité ?

Université. Le narrateur rencontre Lily. Mais cette histoire naissante, ils la cachent. Le moindre frôlement en public pourrait être rapporté par la rumeur. Les rendez-vous sont clandestins, les parcs sont interdits, les transports en commun à éviter. Les chuchotis ne doivent pas parvenir aux oreilles du père. Difficile de satisfaire le corps dans une ambiance aussi délétère. Conclure, c’est prendre un gros risque. Le pis-aller, ce sont les films pornographiques ou Internet, où des femmes s’offrent et se dénudent devant une caméra. Masturbation honteuse, vite fait, cachée. Le besoin sitôt satisfait, on referme l’écran et on essaye de ne pas trop y penser.

Et puis il y a les prostituées. Les vraies, celles qui sont en chair et os, celles que l’on peut toucher, celles que l’on peut sentir, celles qui officient dans la rue ou dans les bordels, qu’ils soient légaux ou illégaux. Celles avec qui il est dur de faire un pas, celles avec qui on hésite. La chair est péché. Même si c’est moins grave avec une pute qu’avec une fille de famille. À croire que les putes n’ont jamais été les filles de quelqu’un. Le narrateur y va, aux putes. Il leur donne bien l’argent, mais toujours, au dernier moment, il fuit. Il est vierge. Il est honteux de désirer des corps que toute la société lui a appris à mépriser dès son plus jeune âge. Société hypocrite, où les hommes courent vers les bordels dès que le rideau de la nuit est tombé. Même l’État a ses bordels, aux tarifs attractifs, pour tous, où la morale est sauve parce que les bars n’y proposent pas d’alcools. Société divisée, parce que le sexe est bien plus à portée parmi les classes aisées. L’inégalité étendue jusqu’à la sexualité.

Alors il faut fuir, fuir Oran au désir endormi pour espérer toucher à la liberté. C’est la France que le narrateur et Lily choisissent. Ils entreprennent toutes les démarches, donnent des bakchichs à qui de droit, trichent sur leur relevé de notes, mentent sur leur revenu, contrefont les signatures. Lily est bien déterminée à échapper au destin que sa mère a connu. De consulat en ambassade, l’espoir d’une vie est dans l’obtention d’un visa.

Finale

Orance dépeint sans misérabilisme et sans jugement une Oran poussiéreuse et endormie, dans laquelle la jeunesse erre, sans véritable avenir, sous une chape à la morale de plomb. La misère, y compris sexuelle, est un fait qui doit s’accepter, comme une tradition, un héritage qui se perpétue de génération en génération. Une souffrance que l’on inflige parce qu’on l’a connue, comme pour en atténuer la force et le souvenir, comme pour apaiser une jalousie à l’égard d’une jeunesse rêveuse que l’on a perdu trop tôt, trop vite.

Le fond du roman est intéressant, je déplore toutefois la forme de ce récit qui semble fuir la simplicité. Personnellement, je n’aime pas que l’on complexifie inutilement la structure d’une phrase. L’absence de points, l’accumulation de virgules ont souvent gêné l’avancée de ma lecture, et ont parfois rendu la compréhension délicate. Plusieurs fois, je me suis demandé qui parlait. C’est cependant une volonté assumée de l’auteur, qui a cherché par ce procédé à créer une continuité, une narration ininterrompue malgré les ellipses temporelles et les voix qui se mêlent, quitte à en sacrifier un peu la clarté.

Je remercie Ahmed Slama et les éditions Incipit en W pour l’envoi de  ce roman.

Ahmed Slama, Orance, Incipit en W, 2018, 100 p.

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